Savoir nommer les arbres, les plantes et les fleurs m’a toujours paru fantastique. Lors d’un voyage aux Canaries, j’ai été initié à la botanique grâce au machine learning.
Avant ce voyage, je pensais que la botanique était une affaire de passionnés et de dévots. Comme si le règne végétal, dans son infinie variété, ne pouvait se rendre intelligible qu’à ceux qui s’y dédient entièrement. Ce sentiment s’est atténué pendant un voyage de février 2022 grâce à l’outil Picture This.

Pour célébrer nos noces, ma compagne et moi avons décidé de rejoindre les îles Canaries, un archipel espagnol de l’Atlantique situé au large des côtes du Maroc. Les Canaries font partie de la Macaronésie, un ensemble géographique regroupant les îles Canaries, Madère, les Açores et le Cap-Vert, mais restent administrativement sur le territoire européen. Les Canaries se situent à 3h30 d’avion de France environ.

Nous avons choisi l’île principale de l’archipel – Ténérife, qui se distingue par la présence d’un volcan gigantesque, le Pic du Teide (3800 mètres) en son centre. Sa faune et sa flore doivent beaucoup au massif parce que des sédiments volcaniques comme le basalte ou l’obsidienne composent ses sols et son relief. Mais ce titan de roche a aussi une fonction protectrice, il détourne et diversifie les influences climatiques sur l’île, tantôt océanique, tropicale, saharienne ou méditerranéenne.

Pour schématiser, le flanc nord de l’île présente un climat subtropical, les côtes ouest, sud et sud-est présentent un climat beaucoup plus sec, aride, presque désertique. Et les massif de l’Anaga, pointe nord – est; et du Teno, pointe ouest – environ 1000 mètres d’altitude sont couvert de végétations de type méditerranéenne : genévriers, pinèdes, oliviers et forêts de lauriers. On y trouve également un grand nombre d’espèces endémiques, comme le pin ou le dragonnier des canaries.
Bref, cette île est un paradis pour botaniste en herbe. Et ce n’est pas un hasard si le célèbre naturaliste, botaniste et explorateur allemand Alexandre Von Humboldt a donné son nom a de nombreux sites et jardins de l’île.
Personnellement, je n’ai jamais été un grand passionné d’horticulture. Mais en 2021, lorsque j’ai lancé mon petit potager à Vannes, j’avais téléchargé l’application Picture this – pour mieux reconnaitre les mauvaises herbes. J’avais consenti à m’abonner à hauteur de 34 euros par an. Et je n’ai jamais regretté ce choix.
D’abord parce que grâce à l’application, j’ai pu soigner rosiers et arbustes de mon jardin en détectant rapidement leurs afflictions (tâches rouges, sombres, noires, rouille etc…) et surtout parce qu’il a ouvert la porte de la botanique lors de mon voyage aux Canaries.
Voici une sélection de quelques fleurs et arbres que j’ai croisés en 5 jours, au fil de nos ballades et randonnées.









































Ce qui s’est produit grâce à l’utilisation de cette application n’est pas anodin. Au bout du 4ème jour j’étais capable de reconnaitre et de nommer près de 80% de la végétation environnante. Mieux, j’y trouvais du plaisir et un lien s’était créé entre ces plantes et moi, entre l’île et moi. Ma conscience de l’environnement végétal s’était accru, indéniablement.
Ca fait des années (10 ans que Plantnet existe) que j’ai entendu parler de la vertu pédagogique de ce type d’appli, mais c’était la première fois que je la comprenais vraiment. Je me dis que si tous les enfants ou les collègiens utilisaient cet outil pour leur classes vertes ou même dans leur vie quotidienne, la prise de conscience de la variété et de la proximité de ces êtres vivants ne pourrait qu’en être améliorée.
De retour en France, j’ai voulu me renseigner sur l’outil lui-même. Picture this revendique 70 millions d’utilisateurs, il est produit par la société Glority, qui ne présente que 250 abonnés sur sa page Linkedin. A titre de comparaison le français Plantnet, en open source, beaucoup plus collaboratif, ne compte que 16 millions d’usagers.
Glority semble être une société chinoise, basée à Hangzhou juste au sud de Shanghai. Qui sont-ils? Mystère. Je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir une sorte de malaise. Est-ce que cela comporte un risque de photographier des plantes? Pourquoi est-ce que je me sens mal?
Cette expérience m’a permis de tirer trois enseignements majeurs :
- Ce type de machine learning a (vraiment) des vertus pédagogiques. Evidemment, je ne me suis pas transformé en botaniste aguerri en 5 jours. Mais j’ai pris conscience de mon environnement végétal grâce à cette petite fenêtre sur l’infosphère. Nommer les êtres qui nous entourent, c’est prendre conscience de leur présence, les intégrer dans nos existence. Qu’est-ce que l’écologie, sinon un acte de conscience, celui d’intégrer le milieu dans nos vies trop humaines?
- J’ai compris qu’un environnement botanique est assez limité. Avant cette expérience je croyais que les plantes de mon jardin ou de la forêt voisine se comptaient en dizaines de milliers d’espèces. Que le règne végétal était infini. Mais en fait, pas du tout. Sur un territoire, on retrouve vite les mêmes espèces, et avec moins d’une centaine de plantes de fleurs et d’arbres on peut modéliser de façon rapide un environnement botanique. La biodiversité étant menacé, je réalise que cette variété pourrait encore s’affaiblir.
- J’ai éprouvé un vrai malaise à enrichir la base de données d’une IA chinoise dont je ne sais rien. Pourtant, je n’arrive pas à mesurer rationnellement le risque réel. Il ne s’agit pas de données personnelles, et je ne mets pas ces fleurs en risque en le faisant. Mais le manque de transparence me gêne. Tous ces végétaux font partie du patrimoine commun de notre système Terre, et l’idée que leur image soit privatisée me gêne. C’est une question diffuse d’ethos et de valeurs. Je ne veux pas que le vivant soit breveté, alors je me promets de nourrir désormais les outils en open source.
Bon, au final, l’expérience est très franchement positive. Et j’ai bien envie de m’intéresser de plus près au règne végétal, ici chez moi à Vannes. J’ai envie d’intégrer plus de plantes et plus d’arbres à ma vie.
Coincidence, ou pas : pendant ce voyage, j’ai lu le tome 2 du cycle d’Hyperion de Simmons. Un chef d’oeuvre du space opera aux forts accents chrétiens. Certains d’entre vous connaitrons peut-être : c’est l’histoire d’une civilisation humaine aux prises avec un réseau d’IA qui l’asservit et d’un combat millénaire à la croisée des religions, des technologies et des formes du vivant.
Qu’est ce que j’en retiens? La maitrise de l’information peut-elle vraiment se mettre au service de la vie? Ca dépend. Il me parait urgent de réfléchir à un référentiel pour le déterminer. La maitrise du vivant par la technologie me parait totalement illusoire si le vivant ne peut naitre que du vivant (Omne vivum ex vivo). Mais la technologie pour accompagner l’élan vital, pour nous rapprocher de ce qui nait sans nous, alors pourquoi pas. Mais, bien que diffus encore, de la géoingénierie, de la bioingénierie à la vie de synthèse, les risques sont légions.
Je ne vois que deux options : rebrousser chemin, ou inventer une boussole.

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