En politique comme ailleurs, la sagesse est un idéal de discernement, un criterium. L’historien Jean-Baptiste Fressoz retrace dans les siècles récents les grandes décisions politiques en matière technologique.
Ce qui affecte la vie sur Terre et dont nous creusons toujours plus le lit, puise à une source bien identifiée. Remèdes d’un côté, ils nous apportent le plaisir, la chaleur et parfois même les conditions d’une vie saine. Poisons de l’autre, ils sont invariablement les racines de la destruction, ce sont nos choix techniques.
Bien que logique, cette conclusion n’est pas si évidente. On pourrait choisir d’incriminer les principes idéologiques qui déterminent nos choix collectifs. Mais il m’a fallu des années pour comprendre que nos systèmes techniques en eux-mêmes, comme l’écrit Jacques Ellul, s’auto-accroissent inexorablement et s’étendent par effet mécanique, par effet de causalité. Les valeurs et les idées se sont effacées devant la puissance motrice du feu technique.
Maintenant, si on admet que plus personne ne décide des orientations techniques, on peut se demander qui les exécute. Qui choisit de développer matériellement telle ou telle technique? Qui choisit de les déployer dans nos existences de telle ou telle manière? Au XXIème siècle, la puissance publique pâlit, ce sont les organisations privées stimulées par la finance internationale qui régissent la production. Or l’anthropologie a maintes fois démontré que l’ordre technique détermine l’ordre socio-culturel. Par certains aspects, l’insécurité culturelle elle-même est le produit de nos réalités techniques.
Devant ce constat, comment réguler politiquement les choix techniques? Les entreprises et les actionnaires n’ont-ils pas une responsabilité civile et collective?
En 2020, nous avions lancé le Printemps écologique comme une contre réponse à cette question : interroger la responsabilité de l’intérieur, responsabilité sociale, technologique, écologique des appareils productifs. Déclencher débats, consultations, négociations et accords collectifs grâce au droit. Mais il faudra des décennies pour produire des effets significatifs.
Car il reste à déterminer les critères de décisions. Peut-on invoquer le risque et le principe de précaution? Peut-on invoquer la morale, la spiritualité? Comment décider ensemble et maintenant de nos choix techniques en matière d’agriculture, d’énergie, de transport ou d’éducation, de numérique, de défense ou de santé?
Le voilà l’enjeu du siècle.
Aujourd’hui, notre démocratie n’est que fantoche parce qu’elle n’intègre pas à son exercice la souveraineté du peuple dans ses orientations techniques. Tant que nous n’aurons pas de méthode pour le faire, nous ne vivrons pas en démocratie.
Pourtant, je crois encore en l’horizon d’une sage technique, souveraine et éclairée.
Je ne suis pas technophobe. Comme Eugène Huzar, « je ne fais la guerre ni à la science ni au progrès, je suis en revanche l’ennemi implacable d’un progrès qui marche à l’aveugle, sans critérium ni boussole ».
Nous devons désormais rapporter à tous les phénomènes politiques ce fameux « criterium » : protéger ce qui ne doit pas être changé et changer ce qui doit l’être.
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