“Celui qui entend l’appel de l’Orient n’entendra plus rien d’autre” disait Borgès. Qu’est ce qu’il voulait dire?
Paul Valéry, l’un des maîtres de l’argentin Borgès, parlait avant lui d’un ‘orient de l’esprit’… qui offre à la pensée enivrée le plus délicieux désordre et le plus riche mélange de noms, de choses imaginables, d’événements et de temps fabuleux ou presque certains, de doctrines, d’œuvres ou d’actes, de personnages et de peuples…
Pour moi aussi çà a commencé comme çà l’Orient, par une sensation de vertige et de foisonnement, l’épiphanie s’est produite pendant un voyage en Asie du Sud en 2011.
Puis la sensation s’est changé en idée, idée de réconciliation, sobriété et harmonie, esprit et corps, présent et passé. L’idée est devenue vision, celle de la renaissance d’une alchimie millénaire, combinaison de la matière et de l’idéal, amorce d’un désir, commencement de toute chose.
Au sens politique, c’est devenu une intuition. L’intuition que l’heure d’un nouveau chapitre de l’évolution humaine a sonné et que les mutations à venir ne se feront pas sans un volontarisme appliqué à défendre les conditions de la vie, dans un contexte simultané d’épuisement général des ressources et d’avènement d’une conscience globale.
Tout indique que nos destins d’hommes et de femmes sont de plus en plus solidaires.
En arabe, l’être humain se dit “Al-Insan” , on peut le lire comme “Celui qui oublie” et je crois justement que le Moyen Orient a vécu un traumatisme, celui de la Mémoire. C’est un cratère civilisationnel, comme Rome par exemple. Ce qui définit notre condition d’homme pourrait être l’usage que nous faisons de notre mémoire dont les forces deviennent des bénédictions, et les faiblesses des malédictions.
Car nous oublions, nous aussi, en Europe. Souvent, nous oublions par choix ou par orgueil et parce que nos ancêtres l’ont décidé, la civilisation qui a engendré l’Occident a disparu de nos idées. J’ai passé cinq années de ma vie à la poursuivre, nous aurons l’occasion bientôt d’en reparler.
Parmi les convictions que je me suis forgées au fil des années, en voici déjà une : l’Occident est aujourd’hui démesurément idéaliste.
L’Occident s’est forgée une représentation de lui-même au XIXème siècle qui a provoqué des incendies et dont les braises sont encore chaudes. Je vois la xénophobie progresser en France – la peur de l’étranger. On se réfugie dans ce qui forge l’identité comme on se barricade.
En France, nous voyons naître un phénomène médiatique en la personne d’Eric Zemmour, oriental lui-même, qui engraisse l’insécurité culturelle puis s’en nourrit dans un élan de paranoia maîtrisée. Je crois que c’est tout le contraire qu’il faut faire. L’Occident doit précisément se réconcilier avec l’Orient.
A l’heure du monde fini – à l’heure où des peuples milliardaires émergent, où la gestion des ressources devient cruciale, à l’heure où les spiritualités se recomposent et où notre conscience collective devient apparente, une vie harmonieuse et durable passe nécessairement par un mariage équilibré entre le corps et l’esprit, entre les cultures et les formes du vivant.
Pour réussir ce mariage, ou plutôt recoller les morceaux, il faudra repenser notre origine et notre destination, réconcilier notre communauté d’existence.
Un jour viendra où nous célébrerons à nouveau le mariage, non pas de Cadmée et d’Harmonie, mais des noces dont parlait Verlaine :
— Aujourd’hui l’Action et le Rêve ont brisé
Le pacte primitif par les siècles usé,
Et plusieurs ont trouvé funeste ce divorce
De l’Harmonie immense et bleue et de la Force.
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