Dix ans après la loi Grenelle II, combien d’organisations respectent la loi en France?
D’abord, une question bête mais nécessaire, qu’est ce qu’un bilan carbone? En pratique, il peut désigner deux choses : un outil de comptabilité développé par l’Association Bilan Carbone (ABC). C’est une marque déposée et c’est la méthode la plus utilisée en France. Le terme est aussi entré dans le langage courant avec l’expression “faire son bilan carbone” qui peut désigner la démarche individuelle d’analyse de ses propres émissions.
Techniquement , nous devrions plutôt parler de Bilan d’émissions de gaz à effet de serre (GES), c’est à dire l’évaluation du volume total de GES émis dans l’atmosphère sur une année par une entité. Ces gaz sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O), et d’autres gaz considérés comme polluants pour l’atmosphère et qui, comme vous le savez, contribuent au réchauffement climatique.
En France, depuis la loi Grenelle II (2010), le Code de l’environnement dispose que toutes les organisations privées de plus de 500 personnes (3000 structures en France) et toutes les organisations publiques employant plus de 250 personnes (1500 structures) doivent effectuer leur bilan d’émission de GES.
Depuis 2016, ce bilan introspectif doit obligatoirement être publié sur cette plateforme de l’ADEME. Cette évaluation obligatoire comprend les émissions dites Scope 1 et Scope 2 (Scope 3 étant seulement recommandée). On distingue 3 catégories d’émissions :
SCOPE 1 : émissions directes provenant des installations détenues ou contrôlées par l’organisation
SCOPE 2 : émissions indirectes associées à la production d’électricité, de chaleur ou de vapeur importée pour les activités de l’organisation.
SCOPE 3 : émissions indirectement produites par les activités de l’organisation liées à la chaîne de valeur complète (fournisseurs et clients)
Le Bilan de GES doit obligatoirement être effectué au moins une fois tous les 4 ans pour les organisations privées et une fois tous les 3 ans pour les administrations publiques. Il doit être soumis en même temps qu’un plan d’action visant à réduire ces émissions.
ALORS, ALORS, COMBIEN D’ORGANISATIONS RESPECTENT CETTE LOI EN FRANCE ?
Pour le savoir, il suffit de consulter opencarbonwatch.org qui recense et analyse toutes les publications sur la plateforme de l’ADEME. Et bien accrochez vous, la dernière fois que j’ai consulté le site, voici quels étaient les chiffres :
- Sur 2465 entreprises privées éligibles, 37% seulement avaient publié un bilan carbone effectué depuis 2010.
- Sur 487 associations, 7% seulement.
- Sur 1480 administrations publiques, 13% seulement.
Pourquoi un si faible respect de la loi?
Deux possibilités : soit l’ADEME a raté un paquet de mails, c’était parti en spam par exemple. Soit les organisations se disent encore que le bilan carbone est optionnel, et personne ne vient leur dire le contraire.
Depuis le 1er janvier 2016, les manquements peuvent être sanctionnés par une amende d’un montant maximum de … 1 500 €. La loi Energie-Climat du 8 novembre 2019 a modifié le texte : pour une amende de … 10 000 €. Comparez ce montant avec le coût d’un bilan scope 1 et 2 pour une entreprise du CAC 40 comme Publicis qui compte environ 80 000 salariés. Et vous comprendrez que la sanction n’est pas vraiment dissuasive.
De toute façon la question ne se pose pas puisqu’aucune sanction n’a jamais été prise. Jamais.
En bref, la loi n’est pas appliquée depuis 2010. Il n’y a pas de véritable volonté politique et judiciaire d’imposer le bilan carbone aux organisations. Tout le monde en parle, mais personne ne l’impose.
Ce phénomène reflète un problème très grave dans notre démocratie : certaines lois sont inefficaces et inappliquées. Ce sont des lois d’affichage.
Le contrôle d’application des lois a eu beau révéler le problème en 2018, rien ne bouge. Enfin j’exagère. Dans le projet de Loi Climat, des amendements visant à renforcer l’application de cette loi (extension aux entreprises de plus de 100 salariés, amende prélevée sur le chiffre d’affaire etc…). J’ai gardé un oeil particulièrement attentif sur cette démarche. Et bien l’amendement a été immédiatement rejeté. Ce n’est pas passé.
Hop, aux oubliettes.
Pour conclure, je dirais qu’en termes de politique climat, ce n’est pas la surenchère de réglementation qui me paraît prioritaire. Il me parait d’abord urgent et nécessaire de faire appliquer la loi avec fermeté.
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