Aujourd’hui, j’aimerais vous parler du héros de mon adolescence que je relis toujours avec plaisir, Corto Maltese.
Corto Maltese, c’est un mythe de la bande dessinée franco-italienne des années 60-80, par le dessinateur vénitien Hugo Pratt. Le personnage principal est un marin aventurier, chercheur de trésors et héros romantique. Pour moi, il représente aussi la sensibilité historique et la confluence des cultures.
On compte 12 albums signés de la main d’Hugo Pratt. Le lecteur pourra y découvrir la variété des mondes du début du XXème siècle – à l’apogée de l’aventure, c’est à dire avant l’aviation civile, entre 1905 et 1920. On commence par les mers salées du Pacifique sud, puis on parcourt la planète jusqu’en Extrême Orient, en Éthiopie, en Irlande et sur l’île de Pâques. Dans les derniers épisodes, on suit le héros jusque dans le Grand Nord en Alaska et en Egypte. Un véritable paradis de géographe.
Mais pour qui aime l’Histoire, les aventures du héros maltais sont tout aussi jouissives. Dans chaque scénario, Corto Maltese est l’acteur involontaire d’un épisode historique majeur. Il joue souvent un rôle de catalyseur, de déclencheur ou de témoin actif d’un basculement historique. Embarqué dans un drame contre son gré, le marin se trouve inlassablement mêlé à un conflit armé, à une guerre économique ou une révolte qui s’est réellement produite. Au fil de ses pérégrinations, il rencontre des personnages célèbres – dont certains deviennent de proches amis, comme Raspoutine, les écrivains Jack London et Herman Hesse, il croise Joseph Staline, l’aviateur allemand surnommé le “Baron Rouge”, les gangsters Butch Cassidy et le Kid, le poète italien Gabriele D’Annunzio ou encore le jeune Winston Churchill. Corto Maltese n’a pas vraiment de nationalité, il est issu de plusieurs cultures mais en dépit de son indifférence pour les conflits internationaux, il joue souvent un rôle clé dans ces imbroglio géopolitiques. Emporté dans la grande histoire comme par une lame de fond, il reviendra toujours dans le lit tranquille de sa vie, avec adresse.
La biographie de Corto Maltese est passionnante. Hugo Pratt a entretenu le flou entre réel et imaginaire, et ce clair obscur a inspiré de nombreux continuateurs. Plusieurs centaines d’ouvrages ont complété la vie du personnage : estampes, poèmes, témoignages, passages manquants et rencontres imaginées. Du fandom avant l’heure. Les origines de Corto Maltese elles-mêmes sont discutées. Il serait né à Malte en 1887 d’une mère gitane dotée de pouvoirs magiques, la Nina, et d’un père britannique militaire. Vous remarquerez que l’histoire de sa naissance ressemble à celle de Bob Marley.
Mais l’une des grandes forces de l’œuvre est sans doute la psychologie du personnage. Elle est fascinante. L’esthétique des traits de Corto compte bien sûr, et ce n’est pas pour rien qu’il est devenu l’égérie d’un parfum Dior, ce qui à ma connaissance n’était jamais arrivé à un personnage de bande dessinée. Mais sur le plan de la personnalité, le héros est extrêmement séduisant. Il est laconique c’est-à-dire qu’il parle peu, mais il séduit les protagonistes hommes et femmes qu’il rencontre par son audace, sa magnanimité et son intelligence. Il incarne le charme. Il est nonchalant, mais il est charismatique et meneur d’hommes. Très entreprenant et déterminé, il sait aussi être contemplatif, en quête d’une révélation, de l’emplacement d’un trésor ou d’un livre rare. Corto Maltese, c’est un caractère flegmatique et bagarreur, aussi sensible qu’indifférent, réactif et patient. Il n’est pas cynique comme Indiana Jones ou téméraire comme James Bond, c’est un romantique, un peu calculateur et très pragmatique, mais il écoute, respecte ses amis autant que ses ennemis, puis dénoue les énigmes par le lâcher-prise.
Globalement, ce que j’aime dans la lecture de ces albums, c’est à la fois la poésie et la sagesse qui s’en dégage. L’équilibre instable entre secret et révélation confine au religieux. Le fait que François Mitterrand ait été fan (on dit “grand admirateur”) n’est pas étranger au fait que le père d’Hugo Pratt fut un dignitaire franc-maçon vénitien. A plusieurs reprises dans l’histoire, on retrouve des symboles maçonniques disséminés de façon explicite. Certains passages sont même carrément mystiques – je pense à Mu, aux Celtiques et aux Helvétiques. Mais cette pesanteur mise à part, on saute d’aventures en aventures. Pour l’adolescent que j’étais, la découverte de Corto Maltese fut une ouverture fondatrice sur le monde, sur l’altérité et le métissage.
Corto Maltese a joué un grand rôle dans le développement de ma personnalité à l’adolescence. J’étais nonchalant – je le suis moins en vieillissant – mais ça ne m’a jamais empêché d’être actif, entrepreneur, un peu aventurier et à l’écoute du monde qui m’entoure. Je me suis ouvert très tôt au métissage des cultures, avec un penchant pour un certain orientalisme. Grâce à ce héros, j’ai toujours porté une attention spéciale aux réalités historiques et politiques de notre temps, ce qui m’a conduit vers le concours de Sciences Po. En effet, Corto Maltese s’intéresse à la politique locale à peu près partout où il passe.
Et puis c’est un grand amoureux. Quand on est adolescent, çà compte… Amoureux fidèle des femmes qui ont su le séduire, amoureux des cultures et des arts aussi, des architectures et des villes qu’il aborde. Sensibles aux paysages luxuriants et arides, aux territoires qu’il contemple. Ce qui fait le charisme du personnage, c’est ce contraste entre son humilité et ses accomplissements, sa détermination et son ouverture d’esprit.
Bien sûr, il n’est pas parfait. Il est même mesquin par moment, mais il évolue au fil des albums. Pour l’adolescent que j’étais, il a incarné in fine une forme d’idéal romantique masculin. J’insiste sur cette époque de ma vie parce qu’avec le recul, ce héros n’est pas exactement un modèle de responsabilité. On l’imagine assez mal en mari attentionné et en père de famille. J’aimerais bien le voir en train de changer des couches et de préparer une purée de brocolis… Corto c’est un héros onirique, celui du rêve d’ailleurs et du sommeil langoureux.
Bon allez je vous laisse, ma fille a fait caca.
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